Chantal Enchantée

dans le cadre de 1+1+1=1080 avec Peter Downsbrough, Beat Streuli, Emilio López-Menchero

1+1+1 = 1080 est une exposition rassemblant Peter Downsbrough, Beat Streuli, Emilio López-Menchero dans la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek-Saint-Jean (BE) (commissaires : Eve Deroover, Dirk Deblieck)

"Chantal enchantée" est un ensemble d’interventions d’Emilio López-Menchero dans la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek autour de la figure de Chantal Maillard, poète espagnole d’origine bruxelloise, plus précisément Molenbeekoise.

"Chantal enchantée" comprend un diptyque-vidéo intitulé "Aller-Retour" montrant Chantal Maillard, marchant sur les pas de son enfance entre sa maison maternelle et son école (devenue aujourd’hui la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek) et une reconstitution d’une classe accompagnée d’une bande sonore avec la voix de la poète se remémorant ses années d’école.

weblink Chantal Maillard collaborations :
https://chantalmaillard.com/colaboraciones/

(le pdf du cahier retraçant la promenade aller-retour est disponible sur la gauche ou au début de cette page web)

 les filles de l'école communale de Molenbeek-St-Jean

Ce projet résulte d’une série de coïncidences extraordinaires. Eve Deroover m’invita, ainsi que Peter Downsbrough et Beat Streuhli, à intervenir dans La Maison des Cultures de Molenbeek. Tous trois, nous avons notre atelier dans cette commune, d’où le titre « 1+1+1 = 1080 ».

"L'aller" projetion vidéo dans le couloir d'entrée de l'école
la classe ensoleillée avec le tableau, les pupitres et cahiers qui montrent l'aller et le retour de Chantal, entre sa maison et son école. Au fond aux deux coins deux baffles diffusent les paroles de Chantal qui se rappelle de cette classe qui lui a donné ses deux vocations , écrire et enseigner

Initialement, cette Maison accueillait une école communale pour jeunes filles.
Étrangement me revint en tête le souvenir d’enfance de Chantal Maillard, poète espagnole d’origine belge qui vécut dans le quartier en 1957–1958. Elle accomplit ses deux premières années d’école primaire dans cette école. Par ailleurs, sa mère avait une boutique de vêtements à proximité de ce qui est aujourd’hui mon atelier. Les croisements de nos trajectoires géo-biographiques me firent imaginer un diptyque.

chantal marchant dans la chaussée de Gand, elle longe le Forum
Ici se situait la vitrine du magasin de vêtements de la mère de Chantal, devenu le Hammam Salem Zenasni
Chantal dans le Forum anciennement un cinéma où elle avait vu le dessin animé "Simbab le marin", aujourd'hui un magasin de meubles, écoute et se rappelle
lustres comme des étoiles au plafond du forum
princesse à mariée (vitrine, place communale, près de la rue du Prado)

Je proposai à Chantal de reparcourir son chemin d’écolière. Je la filmai tout en lui posant des questions. Cela faisait très longtemps qu’elle n’avait plus mis les pieds dans ces rues. Je captai son étonnement face aux transformations de cette commune aujourd’hui largement habitée par la communauté marocaine. À la place de la boutique familiale se trouve aujourd’hui un Hammam. Notre discussion abordait les questions de l’identité, de l’émigration et de l’exil, mais aussi du groupe, de l’altérité, et de l’exclusion. Le chemin aller et retour fit l’objet de deux longues séquences filmées avec un iphone, cadrées à la verticale. Notre parcours constitua un palimpseste, les histoires personnelles et collectives se superposant.

Drapeau belge et sacs de tagine
vitrine à la place communale de Molenbeek avec des sachets de semoules, farine, entre-autres


boîte à plumes
blocs-notes papeterie
plume (papeterie)
encriers (papeterie)
chantal pointe la direction
l'ancien magasin de vêtements le "100000 chemises", aujourd'hui devenu un centre médical
 vase rose sur un seuil de fenêtre à front de rue
corridor et projection fruits et légumes
avion dans le ciel

Ces deux films furent projetés sur deux écrans suspendus face à face dans le couloir d’entrée de l’école. Par ailleurs, je reconstituai dans une salle de la Maison des Cultures une classe du passé, aménagée avec d’anciens pupitres et des chaises scolaires. Je demandai à Chantal de s’asseoir sur l’une d’entre elles et de me parler de ce qu’elle ressentait. Je l’enregistrai.

traces d'une leçon
classe pleine

Elle commença par dire : « Bon eh bien, je voudrais d’abord raconter une histoire. Comment suis-je parvenue à faire de l’écriture une voie, une voca- tion, et de l’enseignement une profession ? Eh bien l’histoire commence ici, dans cette classe, ou peut- être dans une autre classe, mais en tout cas elles se ressemblent toutes et bon, ça doit être ici... Parce qu’il y a un tableau, il y une table... Ce sont des mots bizarres qui ont beaucoup d’histoire, le mot tableau, craie, encrier, le mot plumier, le plumier qui avait des plumes dedans, dans des petits élas- tiques et puis bien sûr la plume... des choses qui maintenant n’existent plus... Mais mon écriture a commencé par là... ça fait déjà maintenant une cinquantaine d’années... ».

Elle poursuivit : « Ecrire sous la dictée... Dictée, ça c’est le poème... le poème s’écrit sous la dictée, dictée... Qui dicte ? Qui dicte le poème ? Qu’est-ce que dicte celui qui dicte ? Et puis apprendre par cœur. En espagnol on dit de memoria, de mémoire, mais ici on dit par cœur, et le poème a plus de par cœur que de mémoire. Mais pourtant c’est par ce qui se répète qu’on apprend, il y a ce qui se répète et il y a ce qui s’apprend et il y a ce qui se copie aussi, parce que bien sûr, sur le tableau quelqu’un écrit, quelqu’un nous dicte et puis on copie. On copie pour apprendre. Mais, puis après, il faut désapprendre. Il faut oublier. Il faut oublier l’ap- prentissage. Il faut oublier ce chemin qu’on a fait jusqu’au moment où on cesse d’apprendre et alors, c’est quand on a appris par cœur...
Je me souviens qu’il fallait changer les plumes de temps en temps parce qu’on avait tendance à appuyer, quand on était enfants, on avait tendance à appuyer sur la plume un peu trop fort et alors, souvent, elle s’ouvrait, il y avait une fente bien sûr, et elle s’ouvrait en deux, et alors il fallait la changer. Et l’encre se condensait dans un petit vide, dans un petit trou qu’il y avait juste au-dessus de la fente... On a besoin de ce vide, le mental a besoin de ce vide pour voir, faire quelque chose après, pour pouvoir écrire on a besoin de faire un vide, comme l’encre sur la plume. Il a besoin de ce petit vide, de ce petit trou. On a donc besoin de se défaire, de se... euh... mmh... d’enlever !

Besoin de ce vide pour que l’écriture prenne son élan...Vider ce qu’on a appris, ça c’est le véritable apprentissage à ce moment-là. Et puis il y avait aussi le geste de la plume vers l’encrier pour reprendre haleine, pour reprendre de l’encre. Et puis il y avait le tableau, le tableau que j’ai devant moi et je vois des nuages sur le tableau, parce que bien sûr on écrit, quelqu’un écrit sur le tableau pour que l’en- fant copie, mais après on efface... On efface... Et quand on efface ça fait des nuages, c’est la même chose dans la tête, la même chose dans le men- tal. On efface, ça crée des nuages et puis après une fois... c’est un espèce de vide aussi, bien sûr. Et c’est avec ce nuage qu’on fait quelque chose d’autre. Alors moi, mon histoire de l’écriture a commencé ici... »
À partir de l’emplacement du professeur absent, un haut-parleur diffusait en boucle son témoignage en direction de la classe. Sur chaque pupitre, un cahier à couverture plastique rouge, vert, jaune, bleu ou orange, présentait en ses pages des extraits visuels et textuels de notre promenade ».

_about

Emilio López-Menchero, artiste espagnol vivant à Bruxelles.

_contact

Emilio López-Menchero
Atelier : 25 rue Ransfort, 1080 Brussels
e-mail : emiliolmenchero@gmail.com

_réseaux